Coup de tonnerre sur la scène politique tunisienne. Le gouvernement proposé par Habib Jemli échoue à obtenir la confiance du Parlement, une première historique qui ouvre la voie à l’intervention du Président de la République, Kaïs Saïed, dont le choix d’une personnalité pour former un nouveau gouvernement s’annonce crucial pour faire sortir le pays de cette crise politique inédite. Maintenant, toute la scène politique est devant un exercice périlleux, trouver le consensus ou plonger le pays dans l’inconnu
Vendredi, tous les regards et les projecteurs des médias étaient braqués sur l’Assemblée des représentants du peuple, où le chef du gouvernement proposé par Ennahdha, Habib Jemli, n’est pas parvenu à récolter les 109 voix requises pour faire passer sa formation gouvernementale, déjà critiquée et controversée par tout l’échiquier politique. Un fiasco parlementaire marqué par un faible vote au profit du gouvernement Jemli qui n’a récolté que 72 voix, alors que 134 députés ont voté contre et trois autres se sont abstenus. En effet, lors d’une séance plénière tendue, Habib Jemli et le chef du parti Ennahdha Rached Ghannouchi étaient dans l’incapacité d’assurer une ceinture politique au gouvernement proposé, car, dès le début, l’affaire semblait être conclue et un scénario était déjà prêt, en dépit des tractations et manœuvres politiques de dernière minute sous la coupole de l’ARP.
Car juste après le rejet de ce gouvernement par les députés qui ont massivement critiqué les choix et l’indépendance de Habib Jemli, un nouveau front parlementaire a vu le jour promettant une nouvelle initiative politique. Lors d’une «spectaculaire» conférence de presse, le chef du parti Au cœur de la Tunisie, Nabil Karoui, a annoncé la formation d’un front parlementaire incluant son parti, le Mouvement du peuple, Tahya Tounès ainsi que les blocs parlementaires de la Réforme nationale et El Mostakbal pour présenter une initiative au président de la République, portant sur la nomination d’un nouveau chef du gouvernement désigné. Ce front compte plus de 90 députés, a-t-il affirmé, rassurant les Tunisiens que le pays ne se dirige pas vers l’inconnu et qu’il n’est pas question d’une situation de vide du pouvoir.
Mais hier, réagissant à ces informations et ces annonces, Zouhaïer Maghzaoui, député et secrétaire-général du Mouvement du peuple, a expliqué qu’il ne s’agissait pas d’un véritable front parlementaire, car, explique-t-il, le règlement intérieur du Parlement ne le permet pas, mais plutôt d’une déclaration pour coordonner les positions des différents blocs parlementaires concernés. «Le mouvement du peuple tient à affirmer qu’il respecte ses engagements au sein du bloc parlementaire uni avec le Courant démocratique et qu’il ne s’agit guère d’une alliance avec les partis qui ont présenté cette initiative», a-t-il expliqué.
Kaïs Saïed prend les commandes
Maintenant que les députés ont refusé d’accorder leur confiance au gouvernement proposé par Habib Jemli, marquant ainsi une première en Tunisie et une situation politique inédite, que se passera-t-il ? Quelle alternative constitutionnelle faut-il appliquer ? Sommes-nous dans une situation de vide de pouvoir ?
Même si l’appellation est contestée par plusieurs acteurs politiques, «le gouvernement du président» commençait depuis plusieurs jours à se manifester dans l’esprit de la classe politique, mais aussi des Tunisiens. En en fait, il ne s’agit pas d’un véritable gouvernement du président dans le mesure où ce dernier nomme, seul, un nouveau chef du gouvernement et des ministres, mais il s’agit d’une nouvelle issue constitutionnelle qui fera intervenir le chef de l’Etat dans le processus de formation de la prochaine équipe gouvernementale, c’est en tout cas ce qu’a expliqué le constitutionnaliste Rafaâ Ben Achour.
Ainsi, à partir du mercredi 15 janvier 2020, le président de la République, Kaïs Saïed aura seulement dix jours pour engager des consultations avec les partis politiques, les coalitions et les groupes parlementaires, en vue de charger la personnalité jugée la plus « apte », qui s’attellera à former un gouvernement dans un délai maximum d’un mois, c’est ce que prévoit la Constitution après l’échec, assez attendu, de Habib Jemli. Ce candidat désigné par Ennahdha avait, rappelons-le, été chargé, le 15 novembre 2019, de former le nouveau gouvernement et selon l’article 89 de la Constitution, il pouvait bénéficier de deux mois pour cette mission, mais l’Assemblée des représentants du peuple a décidé de ne pas valider ce gouvernement. Le délai constitutionnel le 14 janvier, le Président de la République devra donc engager des consultations en vue de charger une autre personnalité qui s’attellera à former un gouvernement dans un délai maximum d’un mois.
Mais le président de la République n’a pas perdu plus de temps et a déjà commencé, hier, ses premières concertations. Effectivement, le chef de l’Etat a reçu, hier samedi, au Palais de Carthage, le président de l’Assemblée des représentants du peuple et président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, dans le cadre des consultations pour la formation du gouvernement conformément à l’article 89 de la loi fondamentale, indique la présidence de la République.
Risque de dissolution du Parlement !
Si cette issue constitutionnelle échoue également à former un nouveau gouvernement, le chef de l’Etat décidera alors la dissolution de l’ARP et l’organisation de nouvelles élections législatives. «Si, dans les quatre mois suivant la première désignation, les membres de l’Assemblée des représentants du peuple n’ont pas accordé la confiance au gouvernement, le Président de la République peut décider la dissolution de l’ARP et l’organisation de nouvelles élections législatives dans un délai d’au moins quarante-cinq jours et ne dépassant pas quatre-vingt-dix jours», stipule la Constitution. Ce délai constitutionnel de quatre mois avant la dissolution du parlement expire donc le 25 mars, mais nous sommes encore loin de ce scénario, car actuellement tous les regards sont orientés vers le palais présidentiel de Carthage, nouveau théâtre des tractations sur la formation du nouveau gouvernement, et notamment vers le président de la République.
En tout cas, seuls le parti Ennahdha et la Coalition Al-Karama se sont montrés contre cette alternative et avaient appelé à voter en faveur du gouvernement Jemli pour éviter le passage au scénario du gouvernement du président. Par contre, plusieurs composantes de la scène politique dont notamment Au Cœur de la Tunisie, le Courant démocratique, le Mouvement du peuple, Tahya Tounès et autres ont positivement réagi à ce scénario, vu, expliquent-ils, la personnalité consensuelle du président de la République et sa légitimité populaire et électorale.